Tous les mécaniciens et chauffeurs de locomotives à vapeur connaissent les « ponts des Soupirs », il y en a un peu partout, en France et Navarre. Le « pont des Soupirs » est toujours situé en haut d’une rampe et, de l’autre côté, c’est la délivrance… ou presque. Sauvegardons, s’il vous plaît, au même titre que la tour Florentine, la mémoire de ces ponts.
Pierre astiquait sa machine, la 231 C 34, lorsque son compagnon Fernand est arrivé. Celui-ci est de méchante humeur : sa prime d’économie de combustible a baissé pour le troisième mois consécutif. Après avoir jeté un regard dans la soute à combustible du tender, Fernand annonce, en guise de bonjour : « Ce ne sera pas une partie de plaisir. » En effet, la machine n’est pas en bon état : beaucoup de réparations ont été différées en attendant le « grand entretien », normalement dans deux semaines, en particulier, le remplacement des segments des pistons.
Ensemble, ils déplorent, une fois de plus, la mauvaise qualité du charbon distribué en ce moment, peu de gaillettes, beaucoup de poussier de couleur terne. Depuis la fermeture des petits dépôts, on vide et nettoie partout les parcs à charbon et les wagons sont, évidemment, acheminés au dépôt d’Aulnoye, le dépôt de La Chapelle ne connaît pas ces désagréments.
L’entente est bonne dans l’équipe : ils travaillent ensemble depuis trois ans et les familles se fréquentent. Pierre est fort et courageux. Curieusement, ils communiquent peu : dans cet univers bruyant ils utilisent surtout les gestes : ils se comprennent du regard. Aujourd’hui, ils remorquent le 182, un « train de luxe » et de prestige, le Nord-Express. Départ de Jeumont à 13 h 02 et arrivée à Paris à 16 h 00 précises avec un arrêt de 4 min à Saint-Quentin.
Le « Pont des Soupirs » faisait office de signal pour les mécaniciens des locomotives à vapeur qui, arrivés enfin à plat, lâchaient la vapeur.
Dans les lignes en forte rampe se terminant par un pont, notamment avec les trains de marchandises, les machines se traînaient péniblement. Le dernier pont était donc surnommé le « pont des soupirs » à cause du bruit caractéristique de l’échappement de la machine peinant à petite vitesse.