Pour rien au monde, il n’aurait voulu exercer un autre métier. Jean-Pierre Noël est né le 15 avril 1929 à Hellemmes, dans une famille de mécaniciens de la Compagnie du Nord. Son statut d’attaché lui assurera un parcours accéléré dans les dépôts du Nord, jusqu’au rang de « sénateur du rail », parcours conclu comme ingénieur chef de dépôt à Aulnoye. Jean-Pierre a connu le traumatisme subi par les équipes de conduite à la vapeur, lorsque vont s’imposer les locomotives diesels et électriques. Alors que ses qualités humaines lui permettront de convertir les agents du dépôt d’Aulnoye, ses compétences techniques serviront à la mise au point de prestigieuses locomotives multicourants, BB 30000 puis CC 40100. Jean-Pierre a baigné dans cette culture propre aux cheminots du Nord, où l’on ne rechignait pas sur la besogne que suscitait un trafic intense et tendu de lourds trains de marchandises, de charbon notamment, ou celui de trains de voyageurs internationaux transitant entre France et Benelux par ce carrefour ferroviaire que fut Aulnoye. Nous publions ici des notes et souvenirs recueillis avec l’aide du collectif Mémoire de la Florentine (MF)1 et d’Hervé Blanchet en particulier, tous bien conscients que s’exprime ici, âgé de 94 ans, l’un des derniers témoins d’un passé ferroviaire bien révolu.
J’ai été élevé à Hellemmes, dans la région lilloise, ville à forte concentration de cheminots. Mes père et oncle étaient mécaniciens au dépôt de Fives. Le dimanche, quand ils étaient disponibles, en famille, après la partie de cartes, j’écoutais avec intérêt leurs conversations professionnelles.
À 14 ans, j’ai préparé le concours d’entrée à l’École nationale professionnelle d’Armentières, une pépinière des futurs cadres et agents de maîtrise de la SNCF. Reçu à l’examen d’entrée, j’ai passé quatre ans en internat dont une partie pendant la guerre. Cette école formait des techniciens supérieurs, au niveau préparatoire à l’admission dans les écoles des Arts et Métiers. J’ai conservé le souvenir d’un chahut monstre à l’internat de l’ENP le 8 mai 1945 : au réveil, bataille de polochons, puis tapis de plumes. Je ne sais pas comment l’information de la fin de la guerre avait filtré. Pendant la guerre, l’école avait été en partie occupée par les Allemands. Des camarades de la promotion, aux patronymes juifs, ont disparu. Je suis donc sorti de l’école à 18 ans, classé 12e sur 49 diplômés.
Les Mikado de la série 141 R numéros 1 à 1340 sont des locomotives à vapeur unifiées de la SNCF qui furent largement utilisées pour tous services sur l’ensemble du réseau français de 1945 à 1974. Construites par cinq sociétés différentes en Amérique du Nord en deux séries (1 à 700 et 701 à 1340) suivant un modèle inédit en France, utilisées partout et pour toutes les tâches et besoins ferroviaires, elles sont intimement liées au renouveau du réseau ferré français d’après-guerre ainsi qu’à la fin de la traction à vapeur en France.
À la demande des amateurs de chemin de fer et en accord avec les chefs d’établissements, trois 141 R figurant encore à l’effectif de la SNCF, choisies en raison de leur bon état général, obtinrent un sursis de circulation jusqu’en 1975 pour assurer la traction de trains spéciaux. Il s’agit de la 141 R 1126 du dépôt de Narbonne et des 141 R 1187 et 1244 du dépôt de Vénissieux.
La 141 R 1126 du dépôt de Narbonne fit sa dernière sortie le 1er juin 1975, en tête d’un train spécial composé de seize voitures, pour un voyage aller et retour entre Narbonne et Cerbère sur la ligne de la Côte Vermeille, et c’est le 19 octobre 1975 que circula la dernière de ces trois 141 R encore en service à la SNCF, la 141 R 1187 du dépôt de Vénissieux, en assurant un train spécial aller et retour entre Lyon et Veynes via Grenoble et la ligne des Alpes.
Depuis 1981 et jusqu’à nos jours, la SNCF autorise parfois la circulation de certaines 141 R préservées par des associations, pour la traction de trains spéciaux.